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Billet de blog 7 décembre 2016

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Dernier aller simple pour l’auteur et metteur en scène Bruno Bayen

L’écrivain et metteur en scène, auteur de pièces et de romans, Bruno Bayen vient de mourir à l’âge de 66 ans. Il s’était éloigné, sans trop le vouloir, des scènes pour se consacrer à des romans où il aimait nous emmener en voyage.

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« J’aime bien que mes spectacles ressemblent à des énigmes », disait-il. C’était là l’un des charmes de ses spectacles, de ses livres aussi. Bruno Bayen le ténébreux, le voyageur, vient de mourir.

De l’Allemagne à Toulouse

Longtemps Bruno Bayen promena son manteau dans les halls des théâtres ou sur les scènes. Du col relevé de son manteau pointait son air toujours un peu désabusé, un peu triste, un peu crispé qui cachait un esprit aussi curieux que vagabond... Et puis, avec un sentiment d’injustice et une certaine amertume, ces dernières années il s’était éloigné des salles de spectacles. Il y a quelques années, à la La Ruche, il avait réuni un bel aréopage d’acteurs et de metteurs en scène (Bernard Sobel, Jean-Marie Patte) qui avaient lu sa dernière pièce brassant des pans de notre Histoire et mettant en scène quelques grands défunts de ce monde. Il n’avait pas trouvé de théâtre pour produire le spectacle et la pièce est restée inédite. Il continua l’écriture de livres, souvent inclassables, faux roman, journal masqué, romance cryptée. Ce fut un écrivain voyageur au théâtre comme dans ses romans. Ecrire, écrire encore. L’écriture fut son refuge jusqu’au bout. Très tôt, très jeune, il avait commencé par écrire des pièces. Son dernier écrit, Élève, paraîtra en janvier, chez Christian Bourgois, posthume malgré lui.

Une dizaine d’années après, ses débuts ressemblent à ceux d’un Patrice Chéreau. A peine sorti de l’Ecole normale supérieure, un premier spectacle qui attire l’attention, Le Pied, adapté de L’Intervention de Victor Hugo, puis, à partir d’une nouvelle de Brecht, l’écriture et la mise en scène de Madame Hardy avec dans le rôle titre l’actrice Elsa Pierce. Gros succès, grosse tournée, son seul spectacle bénéficiaire, dira-t-il des années après. Il monte alors La Danse macabre de Wedekind à Gennevilliers chez Bernard Sobel (début d’une durable amitié), autre succès, puis La Mort de Danton de Büchner au Théâtre de Chaillot, deux textes en langue allemande. Ce jeune germaniste, érudit, doué, intrigue et séduit.

Devenu Secrétaire d’Etat à la Culture, Michel Guy opte pour un rajeunissement de la décentralisation et, en 1975, parmi d’autres nominations (Vincent à Strasbourg au TNS, Lavaudant à Grenoble, etc.), nomme Bayen à Toulouse auprès du maître des lieux, le vieux briscard Maurice Sarrazin lequel, trois ans durant, va pourrir la vie de la jeune pousse (25 ans d’âge quand Bruno Bayen débarque pour codiriger le CDN de Toulouse).

De Schliemann à Genet

Bayen sort de ce guêpier avec un spectacle magnifique, Parcours sensible, dont le titre pourrait tenir lieu de sous-titre à la plupart de ses spectacles. Suivra une mémorable Mouette de quatre heures. Il mène désormais une carrière de metteur en scène indépendant à la tête de sa compagnie La Fabrique (ex Pénélope) et commence à écrire des pièces. D’abord en tandem avec Louis-Charles Sirjacq : Square Louis Jouvet pour les élèves d’une promotion du TNS, puis à la MC93 Les Fiancés de la banlieue Ouest avec des acteurs comme Serge Valetti et ...Jean-Pierre Léaud (l’une de ses rares apparitions au théâtre ; la seule ?). Deux beaux souvenirs.

En 1982, salle Gémier, avec le directeur de Chaillot, Antoine Vitez, dans le rôle titre (mais aussi Bérangère Bonvoisin, Dominique Blanc alors élève, etc.), Bayen met en scène Schliemann, épisodes ignorés, une pièce dont il est l’auteur, un chef-d’œuvre. Paquebot, ville de Troie, fouilles, il est là chez lui. Son goût durable du voyage, dans le temps autant que dans l’espace, est là, il va se déployer par la suite parallèlement à sa carrière théâtrale, de multiple façons. Vitez l’invite à revenir salle Gémier, cela sera en 1984 : Faut-il choisir ? Faut-il rêver ?, l’histoire d’un clown qui est mort lorsque le rideau se lève. Bayen savait faire preuve d’un humour souvent glaçant.

Il est invité sur les plus grandes scènes. Le Chapeau de paille d’Italie à la Comédie-Française en 1985 (il notera : « A la Comédie-Française, vous êtes invité à dîner, mais vous n’êtes jamais sûr qu’on ne vous enverra pas votre assiette à la gueule au milieu du repas. C’est le charme. »), Œdipe à Colone de Sophocle au Festival d’Avignon 1987, Torquado Tasso de Goethe à l’Odéon en 1989, la création mondiale de Elle de Jean Genet avec Maria Casarès en 1990.

Du Cap Horn à Lady Di

En 1992 où il monte, parallèlement de chaque côté de la Seine, deux de ses pièces parmi les plus attachantes, Weimarland (une histoire de vente d’un restaurant en RDA) au Théâtre de la Bastille et L’Enfant bâtard (Hernando Colon, le fils de Christophe ; ce sujet sera aussi le sujet d’un roman) au théâtre de l’Odéon. Il poursuivra cette voie très personnelle en montant plusieurs de ses pièces, non sans difficultés parfois, mais aussi servant des textes de Fassbinder ou Lukas Bärfuss (Les Névroses sexuelles de nos parents au théâtre de Vidy-Lausanne). C’est dans cette veine germaniste qui lui était chère que Bruno Bayen devait créer en 2006 à la Comédie-Française une pièce de Peter Handke dont il avait assuré la traduction, Le Voyage au pays sonore ou L’Art de la question, mais l’administrateur de l’époque ayant appris que Handke avait assisté aux obsèques de Milosevic mit fin au projet.

Ce spectacle tué dans l’œuf le blesse et marque rétrospectivement comme une fêlure. Le théâtre reviendra, pas toujours avec bonheur, sporadiquement. L’écriture de romans, de récits se poursuit et devient plus régulière depuis son premier roman, Jean 3 Locke, en 1987. Suivront Restent les voyages en 1990, le magnifique Éloge de l’aller simple l’année suivante (un voyage romanesque de la Gironde au Cap Horn sur un cargo). La Vie sentimentale (2002) est un titre qui lui ressemble tout comme Fugue et rendez-vous (2011) ou Le Pli de la nappe au milieu du jour (1997). En 1978, comme le héros de Alice dans le villes (le film de Wenders), Bayen s’acheta un appareil photo polaroid SX-70. Vingt-cinq ans plus tard, alors que le Polaroïd était moribond, il fit un livre de ses clichés, de Santa-Fé à Kyoto sous le titre Pourquoi pas tout de suite ?. Je me souviens d’une de ses dernières pièces donnée au Théâtre de la Colline en 2005. Sous des noms d’emprunt, il évoquait Lady Diana, le prince Charles et son amante via des doublures, les serveurs de l’hôtel Ritz, des fleuristes et le porteur du cercueil de la princesse. Bayen avait choisi comme titre une jolie citation apocryphe, les derniers mots de la princesse sous le tunnel de l’Alma adressés à un paparazzo : Laissez-moi seule.

Obsèques mercredi prochain au Père Lachaise à 10h30

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