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Affaire de Viry-Châtillon: comment la police a fabriqué de faux coupables

Mediapart révèle que des policiers chargés de l’enquête sur l’agression de leurs collègues ont déformé, en rédigeant leurs procès-verbaux, les propos de leur témoin principal, jusqu’à lui faire dire l’opposé de ce qu’il avait déclaré.

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Le drame de Viry-Châtillon est loin d’avoir livré tous ses secrets. Cinq ans après que des policiers ont été gravement brûlés dans cette ville de l’Essonne, une enquête de Mediapart, construite autour de vidéos et de documents inédits, dessine un fiasco policier et judiciaire qui a conduit des innocents à passer des années en prison, avant d’être finalement acquittés par la cour d’assises des mineurs de Paris en appel le 18 avril 2021.

Au cours de leurs investigations, les enquêteurs ont rédigé des procès-verbaux truqués, ne correspondant pas aux déclarations de plusieurs mis en cause et d’un témoin central, ce qui a eu des conséquences importantes dans la conduite de l’enquête judiciaire.

Les policiers ont aussi usé de méthodes captieuses dans la conduite de plusieurs interrogatoires, en insultant plusieurs jeunes, les intimidant, les décourageant de faire appel à un avocat ou même en proposant des « deals » avec eux ou leur famille. Ce dont ils n’ont jamais fait état dans les procès-verbaux joints au dossier.

Ces méthodes auraient pu rester secrètes. Depuis 2007, les gardes à vue sont certes filmées pour les faits de nature criminelle. Mais ces enregistrements ne sont pas remis à la personne mise en cause. Il faut contester le procès-verbal qui en est dressé pour espérer en obtenir la copie. C’est ce qu’on fait plusieurs avocats lors de la préparation du procès en appel en mars 2021, découvrant alors les pratiques des policiers et leurs dissimulations.

Indignés par les méthodes policières, cinq avocats ont d’ailleurs déposé plainte contre les policiers chargés de l’enquête en dénonçant notamment des « faux en écriture publique » (lire en détail ici). Un crime en droit français, qui peut en théorie conduire les policiers à comparaître devant une cour d’assises.

Si cinq jeunes hommes ont été condamnés à des peines de six à dix-huit ans de prison en appel, huit ont été acquittés, dont Foued* (quatre ans et trois mois de détention après une condamnation à dix-huit ans de prison en première instance) et Dylan* (qui a passé dix-huit mois en détention provisoire). Mediapart a déjà raconté leur histoire (lire ici), qui n’a suscité aucune autocritique, bien au contraire.

Le directeur général de la police nationale, Frédéric Veaux, a préféré, le mercredi 21 avril, renouveler son soutien indéfectible aux policiers enquêteurs, « quoi qu’il arrive et quoi qu’on dise ». « Je les défends et je les défendrai », a ajouté le chef de la police.

Juste après le verdict, des politiques (de droite et d’extrême droite) et des syndicats policiers avaient préféré dénoncer le prétendu laxisme de la justice dans une affaire ultra-politisée dès le départ.

Le 10 octobre 2016 en effet, deux jours après l’attaque de quatre policiers à proximité de la Grande Borne, le ministre de l’intérieur de l’époque, le socialiste Bernard Cazeneuve, promet publiquement que la « bande de sauvageons » sera « rattrapé[e] »

Au vu de l’émotion suscitée par l’attaque des policiers, il fallait que l’enquête aille vite, très vite. C’est de cette précipitation que vont naître de nombreuses irrégularités dans les investigations. 

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Extrait d’une vidéo de surveillance avant l’attaque. © Document Mediapart

Les enquêteurs ne disposent à l’époque que d’une vidéo de surveillance et de quelques images que des jeunes du quartier ont fait circuler sur les réseaux sociaux. Un groupe d’assaillants, de seize à vingt et un membres présumés, est recherché par la police, qui peine à les identifier : les auteurs des violences, tout de noir vêtus, avaient leurs visages dissimulés et les mains gantées.

Des informateurs, dont les identités ne seront pas dévoilées, rapportent aux policiers qu’il s’agirait de jeunes appartenant à une bande surnommée la « S », du nom de la rue de la Serpente, où ils ont coutume de se retrouver. Commence alors une série d’interpellations de mineurs qui auraient, selon la police, participé aux préparatifs de l’assaut. Mais leurs auditions ne donnent rien et l’enquête piétine jusqu’en décembre 2016, lorsqu’un jeune est tabassé, après s’être vanté de connaître les coupables de l’attaque.  

Les écoutes téléphoniques des échanges qui s’ensuivent, débouchent, en janvier 2017, sur onze interpellations dont celle de Bilal*, alors âgé de 19 ans, et suspecté d’avoir participé aux violences du 8 octobre. 

Depuis le décès de son père survenu en 2014, Bilal toxicomane (dépendant notamment à la codéine) a décroché de l’école. Quelques semaines avant les faits, il vivote chez des amis ou dort dans sa voiture. Lorsqu’il ne suit pas ses cours de BTS en comptabilité et gestion des organisations, il fait le chouffe, c’est-à-dire le guetteur sur l’un des points de deal de la cité. Pour lui, tout est chaotique, sa vie de famille, son parcours scolaire mais aussi ses relations amicales.

Bilal va devenir le témoin central de l’affaire. À l’issue de ses trois jours de garde à vue, il passe du statut de mis en cause à celui de témoin. Entre-temps, il a livré aux enquêteurs une liste de vingt-deux jeunes de la cité : treize d’entre eux se retrouveront dans le box des accusés.

Deux ans plus tard, en octobre 2019, il n’assiste pas au procès en première instance. Des avocats s’étonnent de cette absence. Et demandent, au vu de l’étonnante retranscription qui a été faite de ses propos par les policiers (plus de huit heures tiennent en une dizaine de pages seulement), à écouter l’intégralité de son témoignage en vidéo. Stupeur : ses propos ne correspondent pas au contenu des procès-verbaux dressés par les enquêteurs. 

La liste des présumés coupables qu’il a remis aux policiers a par ailleurs été rédigée entre deux interrogatoires. Nulle trace, donc, des conditions dans lesquelles elle a été recueillie. 

Il faudra encore attendre deux années, avant que la cour d’assises de Paris mandate en janvier 2021, des experts chargés de procéder à la retranscription totale des auditions de Bilal.

On y découvre d’abord que les enquêteurs n’ont curieusement que très peu investigué sur l’éventuelle participation de Bilal à l’agression. Bilal nie toute implication. Le jour des faits, de 10 heures à 17 heures, il était « en train de guetter au rinté, […] au four », c’est-à-dire qu’il postait près d’un point de deal, afin d’alerter les vendeurs de drogue, en cas de patrouille de police dans les environs. Il a ensuite rejoint le tournage d’un clip de musique, explique-t-il lors de son premier interrogatoire en garde à vue, le 17 janvier 2017.  

Sans émettre le moindre doute sur son emploi du temps, l’un des officiers de police judiciaire l’interroge alors : « Je vais te poser une question qui a tout son sens, avant de répondre, tu réfléchis. Vous nous dites ne pas avoir participé aux faits. […] Savez-vous au moins des choses sur cette attaque ? » Bilal répond sans hésiter : « J’sais rien du tout, parce que je n’étais pas là. » 

À 14 h 30, toujours le 17 janvier, Bilal est auditionné une deuxième fois. Selon les enquêteurs, il sait désormais qui a participé à l’attaque. Selon le procès-verbal dressé par les policiers, le jeune aurait déclaré : « Si je parle, je suis mort. » En réalité, il n’a jamais prononcé ces mots. En revanche ce que répète Bilal, c’est qu’il a eu « des échos » sur les auteurs de l’attaque parce que « c’est un quartier où tout se sait ».

L’un des policiers le reprend, et lui explique alors précisément ce qu’il attend de lui : « Soit on reste sur la première ligne de conduite où tu me dis : “J’ai rien fait mais en gros je sais exactement qui a fait quoi mais si je parle je suis mort.” Mais là tu es en train de me dire : “C’est les échos”, donc je préfère que tu restes sur la première idée, de me dire “moi je sais, mais c’est chaud” plutôt que après les échos les bruits de couloirs, les trucs comme cela, tu comprends ce que je veux dire ? » 

Bilal n’en démord pas : il n’y était pas et ne peut donner aucun nom. Pourtant à deux reprises, le policier insiste : « Dans ce genre de situation [Bilal], c’est celui, excuse-moi du terme que je vais employer, qui bande le premier qui encule l’autre, tu vois ce que je veux dire ? »

À son deuxième jour de garde à vue, le ton change. Les policiers, qui interrogent Bilal pour la quatrième fois, lui montrent alors des fichiers d’image extraites de son téléphone portable qu’il a tenté d’effacer et sur lesquelles, entouré d’amis, il exhibe une arme. « C’est pas des vrais armes, c’est le quartier, c’est comme ça », s’emporte Bilal, en reprochant aux policiers de lui ressortir des « trucs qui datent » d’une mise en scène pour un clip tourné il y a plus de deux ans.

Un témoin fragile, dont les déclarations sont modifiées

Les enquêteurs prennent alors soin de préciser leur menace : « Si tu veux, tu racontes aussi une partie de l’histoire ou alors c’est les flics qui la racontent. Nous, on peut te présenter, ça serait peut-être pas vrai, mais comme un mec qui est habitué à manipuler des armes, qui fait partie d’une bande, qui est un mec dangereux, qui est en train de se déscolariser, qui fait des conneries. Ou alors on montre de toi autre chose, et ça il y a que toi qui peux le faire. »

« T’es quelqu’un d’impulsif, tu viens de très bien de le démontrer, t’es quelqu’un de borné, tu viens de très bien le démontrer », observe un autre enquêteur. Son avocat commis d’office alerte aussi le jeune homme sur les conséquences pour lui si la juge d’instruction découvre ces photos.

Les policiers sortent aussi un masque retrouvé à son domicile quand ils l’ont perquisitionné. Bilal s’emporte de nouveau en expliquant qu’il s’agit d’une cagoule. « C’est vous maintenant, c’est vous, vous qui voulez rajouter des trucs. Moi, j’étais pas là peu importe c’est tout », lance-t-il aux enquêteurs. 

 « Si vous n’avez rien fait dans cette histoire, comment votre attitude va être perçue par le juge d’instruction ? », conclut l’enquêteur avant de laisser Bilal regagner sa cellule.

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Le box des accusés lors du procès en première instance de l’attaque de Viry-Châtillon. © Benoit PEYRUCQ / AFP

Huit heures plus tard, il est interrogé pour la cinquième fois, pour ce qui s’avérera être un tournant de l’enquête. Sur le procès-verbal, on lit que Bilal accepte que cet interrogatoire se fasse hors présence de son avocat et aussi qu’il « s’excuse pour son comportement » et « comprend que l’avocat n’ait pas voulu poursuivre avec [lui] ». 

Dans la retranscription des enregistrements vidéo, on ne trouve pourtant aucune trace de son consentement concernant l’absence de son avocat ni de ses excuses. 

L’audition débute en présence du juge d’instruction venu prolonger la garde à vue. Avant de quitter la salle, le magistrat s’adresse au policier et à Bilal en ces termes : « Je vous laisse avec [Bilal]. Bon je préviens ma collègue et puis on lance le nécessaire, d’accord Monsieur ? Vous verrez c’est autre chose. » 

Là encore le procès-verbal ne mentionnera ni les propos du juge, ni la traduction qu’en livre quelques minutes plus tard, l’un des enquêteurs à Bilal : « Ils disent pas des paroles en l’air les juges, hein. […] Tu as vu, il a pris la mesure de la situation » avant de rassurer le jeune homme qui sera aidé « pour faire la démarche, pour que vous puissiez déménager »

Qu’a-t-il été convenu entre le juge, les policiers et Bilal en dehors de la caméra ? Il est question en filigrane d’aide pour déménager, de mutation de sa mère, des dispositifs prévus pour les témoins.

Pourtant, la loi ne permet pas de lui proposer une quelconque protection, en tant que témoin (article 706-57 code de procédure pénale) puisqu’il est alors soupçonné d’avoir participé à l’attaque.

L’officier de police judiciaire rassure Bilal à la fin de l’audition : « Après, je pense pas qu’on te réentende donc tu vas te reposer, les choses vont se dérouler comme elles doivent se dérouler, toi t’as, ton ticket il est, c'est bon, le reste n’y pense pas, et on voit au moment voulu, OK ? »

Bilal ressort libre de ces trois jours de garde à vue. Aucune poursuite pour tentative de meurtre ne sera engagée à son encontre. Ce « ticket » de sortie a-t-il été obtenu en échange d’une liste de présumés coupables, élaborée dans sa cellule, à l’abri des caméras ? 

Dans le procès-verbal dressé par les policiers, ces derniers écrivent que Bilal l’a présentée sans équivoque comme « la liste des personnes qui ont participé aux faits ». Or, le jeune homme n’est jamais, face caméra, explicite sur ce point. 

Au contraire, il varie sur différents noms, se contredit, disculpe les uns, reste imprécis sur les autres, ne donne aucun détail. Sans que cela semble interroger les enquêteurs qui auront à cœur de présenter Bilal comme un témoin crédible et fiable, voire une sorte de repenti du quartier.

À la fin de son audition, les policiers écrivent d’ailleurs sur le procès-verbal que Bilal leur aurait déclaré : « Je me sens beaucoup mieux, je connaissais la vérité, ça devenait trop difficile de garder tout ça pour moi. […] C'est plus facile de dire la vérité que de mentir. » Mais, selon les retranscriptions de la vidéo de l’audition, il s’agit en réalité de mots employés par les enquêteurs, que le jeune homme n’a fait qu’acquiescer mollement.   

L’examen de ses déclarations amène à d’autres surprises de taille. Alors qu’il a inscrit le prénom de Dylan, vingt ans, sur sa fameuse liste, Bilal déclare à plusieurs reprises aux policiers qu’il n’a pas participé. « Je sais pas si il était prévu », explique-t-il également, selon la retranscription de la vidéo de l’audition. Dans leur procès-verbal, les policiers écrivent pourtant l’inverse : « Je sais qu’il était prévu. »

Un autre jeune, Foued, dix-huit ans, est aussi est victime de la même manipulation [voir dans notre vidéo au début de l'article].

D’autres mensonges apparaissent à plusieurs instants de l’audition. Par exemple, au sujet de Yazid*, un autre jeune inscrit sur sa liste et définitivement condamné à dix-huit ans de prison ferme par la cour d’assises (après avoir subi des insultes en garde à vue, lire ici), les policiers écrivent dans leur procès-verbal que Bilal leur a dit : « Dans le quartier, pour les gens, c’est le chef, mais il a une famille nombreuse et influente. Il profite de sa notoriété. »

Or il s’agit là encore d’une construction des policiers. À la question de connaître le rôle de Yazid « dans l’histoire », Bilal a en réalité répondu : « Même rôle que tout le monde, c’est pas un chef. »

Au sujet du même Yazid, les policiers écrivent dans leur procès-verbal qu’« il [lui] semble qu’avant l’histoire, il s’était blessé avec un mortier ». Or Bilal n’a pas parlé d’une blessure de Yazid et de son utilisation d’un mortier.

Lorsqu’il sera confronté à ses propos sur PV, dix mois plus tard, par les deux juges d’instruction chargés de l’affaire, Bilal fera d’ailleurs des déclarations inverses — ce qui ne semble alors pas troubler les magistrats.

Les juges lui demandent par exemple : « Vous aviez expliqué que [Yazid] était le “chef” de la bande de la “S”. Le confirmez-vous ? » Réponse : « Non, il n’y a pas de chef. Il n’y avait aucun chef. » À plusieurs reprises, le témoin clé des policiers explique aussi que les noms et explications fournies proviennent en réalité de simples « rumeurs » du quartier…

Un avocat de la défense se rappelle des propos de Bilal qui, lors du procès en appel, a expliqué avoir été en manque, et s’être senti en mauvaise posture lors de sa garde à vue, avec le risque d’être condamné à vingt ans de prison. Le commandant chargé des investigations reconnaîtra d’ailleurs devant la cour, en réponse à une question d’un des avocats de la défense Me Philippe-Henry Honegger, que l’alibi de Bilal (sa présence sur un point de deal au moment du drame) « n’a pas été vérifié ».

Les policiers avancent simplement que leur témoin n’a pas pu participer à l’attaque car, une minute avant, durant quelques secondes, l’un de ses téléphones (souvent utilisé par sa sœur) aurait été activé. Les enquêteurs ne vérifieront cependant pas deux autres téléphones de Bilal.  

Trois mois plus tard, son emploi du temps le jour des faits est corroboré par les déclarations d’un témoin sous X, selon lequel Bilal « était sur un four [point de vente de drogue – ndlr] pendant l’attaque ». Aucune précision supplémentaire n’est demandée par les policiers. 

La valeur du témoignage de X laisse cependant sceptique. « J’ai entendu directement de certains de ceux qui ont participé à l’attaque et qui ont dit à moi et d’autres ce qu’ils avaient fait », rapporte-t-il aux policiers lors de son audition, le 30 avril 2017. Sans avoir assisté aux faits ou à leur préparation, il rapporte donc des propos tenus devant lui ou dont il a « entendu parler »

Un rendez-vous secret avec les enquêteurs dans un hôtel

La solidité de ce témoignage montre à nouveau ses limites lors de sa confrontation avec les jeunes mis en cause. Le 22 novembre 2017, questionné par les avocats de la défense, le témoin sous X ne se souvient pas toujours des circonstances dans lesquelles il a obtenu ses informations.

Concernant l’un des mis en cause, condamné à dix-huit ans de prison en première instance puis acquitté en appel, le témoin sous X répond, à la question de savoir « qui s’est vanté de la participation de M. et quand ? » : « Je ne sais plus. Tout s’est passé peu de temps après les faits, je ne sais plus. » L’un des jeunes soupçonnés d’avoir participé à l’attaque s’emporte alors : « C’est facile d’être anonyme et de dire n’importe quoi. Il a écouté plein de rumeurs dans le quartier et les a regroupées. » 

« Quand j’ai entendu parler des personnes, peut-être qu’elles ont exagéré pour faire les personnes fortes », finit d’ailleurs pas reconnaître le témoin sous X, en tentant de relativiser la portée de son témoignage : « Je l’ai dit quand je n’étais pas sûr. » 

Tout comme Bilal, ce témoin est devenu, malgré ses fragilités béantes, l’un des piliers de l’enquête. Mais aucune question ne lui sera posée au procès, X ayant refusé de participer aux audiences alors que son anonymat aurait pu être préservé.

Concernant Bilal, le procureur a lui-même interrogé, lors du procès en appel, le commandant chargé des investigations, Sylvain Chavouet, sur la fiabilité de son témoignage. « Je ne sais si ce qu’il dit est la vérité vraie », a concédé le chef de l’enquête, selon plusieurs personnes présentes à l’audience à huis clos. Le policier a expliqué que « toutes les déclarations qu’il fait viennent confirmer les éléments qu’on a déjà ».

À plusieurs reprises, selon des personnes ayant assisté au procès, Sylvain Chavouet a fait part de ses doutes et reconnu ne pas « être capable de dire qui était là et qui a fait quoi à part quelques-uns. Je n’ai aucune certitude dans ce dossier ». Avant de lancer en regardant le box des accusés : « Il y a des jeunes ici présents, je ne mettrais pas ma main à couper en disant qu’ils ont participé. »

Lors du procès en appel, la sœur de Bilal a également révélé les conditions pour le moins douteuses dans lesquelles une protection a été proposée par les policiers. L’offre de « protection, changer d’identité, de prénom » a été faite par « la police, ils étaient trois », a-t-elle affirmé. « On avait rendez-vous dans un hôtel, au Pullman à Paris. Il y en avait un qui surveillait l’entrée et deux autres qui discutaient avec ma sœur et moi. » 

Interrogé par Me Philippe-Henry Honegger, l’officier de police judiciaire Jean-Michel Lejard a expliqué qu’il s’agissait là d’« un service activable par un juge d’instruction […] c’est lui qui a fait valoir cette possibilité ». Contactés par Mediapart, les juges chargé de l’instruction ainsi que le ministère de la justice n'ont pas répondu à nos questions sur ce point.

Lors du procès en appel, Bilal accuse finalement les policiers de l’avoir « sorti de [s]a garde à vue à plusieurs reprises » et de lui avoir « tourné la tête en [lui] disant qu’[il] risquai[t] vingt ans de prison ».

Interrogé par la présidente de l’audience, Emmanuelle Bessonne, sur la fameuse liste de jeunes qui aurait participé à l’attaque, il dit l’avoir rédigée « dans une autre salle que celle où [il] étai[t] auditionné ». « J’ai répété ce que l’agent m’a demandé de dire. […] À partir du moment où j’ai commencé à dire des mensonges, j’ai continué sur des mensonges. J’étais naïf, j’ai essayé de me sauver. », affirme-t-il.

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Des policiers et proches des accusés pendant le procès en première instance, au tribunal de grande instance d’Évry, en octobre 2019. © Bertrand GUAY / AFP

L’enquête policière ne s’est pas fondée que sur ces témoignages. Concernant les hommes finalement acquittés, les policiers s’étaient également appuyés sur une étude visant le bornage téléphonique, qui, là encore, a montré ses limites.

En principe, un téléphone actif (qui reçoit ou envoie des appels et des SMS) déclenche une borne sur laquelle les opérateurs raccrochent leur antenne. Or l’activation d’une borne ne permet pas de localiser un point précis mais une zone, au meilleur des cas, de plusieurs centaines de mètres de diamètre.

Imprécis, le bornage peut également donner des résultats aberrants. À une dizaine de mètres d’une borne, il est possible d’en déclencher une autre, beaucoup plus lointaine. Ou, dans le même appartement, d’une pièce à l’autre, le téléphone peut déclencher deux bornes différentes situées à plusieurs centaines de mètres de distance. S’ajoute à ces obstacles le fait que, dans le dossier de Viry-Châtillon, les jeunes résident dans le quartier où a été perpétrée l’attaque.

Malgré ce manque de fiabilité avéré, les policiers ont utilisé le bornage à charge contre certains accusés. Lorsqu’il auditionne Dylan, l’un des enquêteurs lui signale ainsi que le bornage de son téléphone indique « la borne que tu déclenches, il ne va pas nous indiquer tes déplacements. […] Ça ne peut pas être plus précis », tout en considérant néanmoins que « c’est un point qui joue en ta défaveur ».  

Dans le cas d’un autre accusé, Youssou*, son téléphone a déclenché, le jour du drame, une borne dans la commune limitrophe de Morsang-sur-Orge, alors qu’il était à son domicile à la Grande Borne. Cette incohérence lui a valu d’être accusé de mentir sur son emploi du temps, qui ne correspondait pas à son bornage. Il faudra un an pour que de nouvelles expertises viennent expliquer cette situation.

S’agissant de Foued, un dernier élément a pesé dans sa condamnation en première instance : une policière agressée, qui avait déclaré pendant l’instruction qu’elle ne pouvait pas reconnaître son agresseur, a soudainement, à l’audience, identifié Foued, en raison de son regard, selon elle.

En appel, les juges ont estimé que cette reconnaissance certes « sincère », ne pouvait être considérée « comme suffisamment fiable, pour être probante » « au regard du temps écoulé, de la rapidité du face-à-face avec son agresseur » dont le visage était partiellement masqué aux moments des faits, « de l’émotion intense à ce moment-là » et du traumatisme.

Après l’énoncé du verdict, quand les policiers et des politiques ont pris la parole pour regretter les acquittements prononcés en appel, aucun de ces éléments n’a bien sûr été mentionné. À l’inverse, pour démontrer la prétendue barbarie des accusés, une scène de bagarre à l’intérieur du box au moment de l’énoncé du verdict, a été rapportée dans plusieurs médias.

En réalité, à cet instant-là, un jeune homme condamné à six ans de prison en appel et qui continue de clamer son innocence, a fait entendre sa colère, sa souffrance. Des gendarmes se sont alors précipités sur lui et plusieurs accusés ont voulu le protéger.

Cette scène n’a jamais été correctement racontée. Comme un ultime affront à la vérité.