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Marilza de Melo Foucher

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Billet de blog 16 septembre 2020

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Tarso Herz Genro: «on peut dire que certains politiciens veulent arriver au pouvoir pour tuer»

Un entretien avec Tarso Herz Genro, politicien, essayiste, spécialiste du droit, ancien maire de Porto Alegre, ancien gouverneur de l’état Rio Grande do Sul et ancien Ministre de Lula, sur les défis de la gauche brésilienne. 

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Tarso Herz Genro est polyvalent, diplômé en droit, docteur honoris causa de deux universités brésiliennes, spécialiste en droit du travail, chroniqueur pour des journaux et blogs au Brésil et à l'étranger. Il est aussi professeur invité dans différentes universités au Brésil et à l'étranger, politicien, essayiste dans les domaines de la théorie du droit et de la théorie politique. Il a publié de nombreux livres dans le domaine du droit, de la politique et de la littérature. En tant qu'homme politique, il est rentré au Parti des Travailleurs dans les années 80 dèssa fondation. Il a eu plusieurs mandats, conseiller à Santa Maria-RG, vice-maire de Porto Alegre, député fédéral, maire de Porto Alegre, puis gouverneur de l’état de Rio Grande do Sul. Avec l'accession de Lula à la présidence et sa réélection, il a été nommé président du  Conseil de développement économique et social et a été ministre de l'Éducation, ministre des relations institutionnelles et de la Justice. Il a également été président du Parti de Travailleurs-PT.

Le philosophe français Michel Foucault disait que tout lieu où s'exerce le pouvoir est, en même temps, un lieu de formation du savoir.

En tant que politicien de gauche, qu'avez-vous appris de l'exercice du pouvoir et de vos relations ?

Beaucoup de leçons et d’apprentissages. C'est dans l'exercice des fonctions parlementaires et exécutives que vous testez réellement votre vision du monde et de l’humanité. Et l’apprentissage dans la clandestinité de la lutte sociale et, pendant la dictature, l’apprentissage de la lutte politique.

Pensez-vous que tous les politiciens devraient être formés à l'exercice du pouvoir ?

Il n'y a pas de modèle politique unique. De manière très sommaire, mais qui reste une synthèse adéquate, on peut dire que certains politiciens veulent arriver au pouvoir pour tuer, je caricature en donnant des exemples d’hommes politiques. Je pense à ceux qui, comme Trump et Bolsonaro, sont des négationnistes de la science, des anti-écologistes et des racistes, dont la vision de l'être humain est une conception purement instrumentale de l'accumulation capitaliste. Leur mépris de la vie est inscrit dans leurs attitudes publiques et dans leurs principales pratiques étatiques.

Il y a aussi ceux qui viennent faire carrière et « profiter » des circonstances, ce sont les politiciens traditionnels qui, selon les alliances qu'ils établissent, peuvent être utiles à la lutte pour l’émancipation ou bien venir en aide à la droite ou à l'extrême droite, avec leurs programmes de haine et de disparité croissante des revenus.Ils sont généralement identifiées par les «médias grand public » comme des politiciens « normaux » dans le régime démocratique-représentatif.

D'autres politiciens utilisent le pouvoir pour lutter pour la vie, contre les guerres, pour l'émancipation, pour l'égalité et le respect des droits de l'homme - dans les différents courants d'opinion des partis démocratiques. Ils savent être pragmatiques, pour gouverner, sans renier leurs principes. Ceux-ci définissent précisément leurs alliés, adversaires et ennemis, afin de produire des politiques étatiques qui vont dans le sens de la liberté et de l'égalité, respectant les espaces constitutionnels conquis dans l'État de droit social.

Ce que j'ai appris au « pouvoir », ou plutôt en tant que dirigeant d’un État de droit social, c'est qu'il est possible d'être cohérent - en tant que leader politique de gauche - à la fois dans l'opposition et au gouvernement. C'était peut-être mon apprentissage le plus important avec l'exercice du pouvoir.

Cependant, je pense que chaque « politicien » cherche à se préparer consciemment ou inconsciemment à ce qu'il veut faire au pouvoir, selon sa vision du monde et de l'humanité.

On sait que l'hégémonie du capitalisme financier ne peut être atteinte que par des moyens politiques, grâce à une gestion opportune des ressources du pouvoir.

Pourquoi la gauche s'est-elle davantage concentrée sur le néolibéralisme d'un point de vue économique et non de son idéologie ?

Je pense qu’à gauche, dans son ensemble, nous avons analysé principalement le processus dit « néolibéral », comme s'il ne faisait qu'instruire une autre étape du développement du capitalisme industriel classique, pas comme une barbarie plus globale, où la force normative du capital financier exprimait - comme elle l'a fait - une capacité à détruire à la fois la culture politique des Lumières et l’État-providence dans ses aspects économiques les plus positifs. Cela nous a affaibli dans le monde pour pouvoir préserver nos valeurs de gauche et affirmer nos différends idéologiques. Mèszaros et Baumann, de différentes manières, ont perçuscette limitation et ont beaucoup écrit à ce sujet. Je recommande de les lire tous les deux. Le philosophe hongrois Mészáros clarifie, dans ses travaux sur la philosophie, l'idéologie et les sciences sociales, le pouvoir de l'idéologie et son rôle dans le processus d'ajustements structurels. Alors que Baumann, dans son livre « La vie liquide », décrit nos sociétés contemporaines comme un univers sans repères où l'individualisme et l'éphémère des relations émergent... Nous vivons à une époque liquide. Rien n'a été fait pour durer. Pour la gauche, surmonter l'idéologie néolibérale est l'un des plus grands défis pour construire un nouveau projet de société. En cette période de pandémie, l'idéologie néolibérale a enlevé son masque comme vous l'avez écrit dans votre article sur Mediapart. https://blogs.mediapart.fr/marilza-de-melo-foucher/blog/180320/le-coronavirus-enleve-le-masque-de-lideologie-neoliberale

Comment penser l'émancipation humaine, la dignité humaine, la justice sociale et une société plus fraternelle quand la démocratie est l'otage de cette idéologie ?

Je pense qu'il faut récupérer, avec des catégories politiques et philosophiques appropriées pour cette période historique, le débat qui a eu lieu entre la social-démocratie et le bolchevisme au début du siècle dernier, pour vérifier si le chemin emprunté par ces deux courants de pensée politique marxiste était le plus propice à l'émancipation humaine, puisque les deux - bien qu'avec des avancées sociales notables pour ceux «d'en bas» - ont fini par s'épuiser en une courte période historique en tant que «modèles» de sociétéstendant à éliminer les inégalités et les oppressions de classes.

Comment la gauche brésilienne se prépare-t-elle à définir de nouveaux paradigmes de développement avec une inclusion sociale, économique et culturelle qui prend en compte les écosystèmes menacés et leur biodiversité ?

Le Brésil a cessé de se préparer à faire face à ces problèmes sociaux et éco-environnementaux, à la suite du coup d'État parlementaire lancé contre la présidente Dilma. Cependant, tous les gouvernements précédents depuis la Constitution de 1988, dans une plus ou moins grande mesure, ont développé quelques politiques significatives à cet égard, qui ont atteint leur point culminant dans les gouvernements du président Lula,continué sous les gouvernements Dilma. Durant ces périodes, il y a eu une politique de développement avec inclusion sociale beaucoup plus attentive aux enjeux socio-environnementaux que les précédentes, notamment dans les administrations de la ministre Marina Silva et Carlos Minc, au ministère de l'Environnement.

Dans l'administration actuelle, le président Bolsonaro a placé au ministère de l'Environnement une personne qui, en fait, est un anti-environnementaliste etun fomenteur des pires agressions jamais vues dans les territoires des communautés indiennes. Stimulant l'exploitation minière illégale et les incendies de forêt, il est favorable aux « incendies » du territoire amazonien, qui possède l'un des écosystèmes les plus riches et en même temps les plus délicats de la planète. Actuellement, il existe un processus de destruction sans précédent, qui révèle le caractère prédateur de la politique de Bolsonaro, concernant les écosystèmes de l'Amazonie et du Pantanal Matogrossense. Regardez la situation dans laquelle nous nous trouvons : lors d'une réunion ministérielle enregistrée, donc diffusée à l'échelle nationale par certaines télévisions, le ministre Ricardo Salles a déclaré – en toutes lettres - que le gouvernement devrait attirer l'attention des médias grand public sur les problèmes causés par la pandémie, pour « faire passer le bétail en Amazonie », c'est-à-dire, permettre et stimuler les incursions illégales des éleveurs de bétail et des chercheurs d’or dans la région, qui se caractérisent par le fait de  « brûler des forêts », de produire des « pâturages » et d'ouvrir des territoires à l'exploitation minière. Il y a donc rupture dans la continuité des politiques éco-environnementales dans le pays, de manière criminelle et avec les encouragements du Président de la République lui-même.

La gauche, bien qu'aujourd'hui dispersée et fragmentaire, doit prendre en compte son expérience passée de gouvernance pour redéfinir, face à la catastrophe environnementale du gouvernement actuel, une politique socio-environnementale plus audacieuse et répondant à de nouveaux défis.

Le dernier discours de Lula le 7 septembre a eu une bonne répercussion mondiale. Comment avez-vous interprété ce discours?

Le discours de Lula le jour de la célébration de l’indépendance du Brésil était bien plus que la démonstration de sa supériorité politique et morale sur l’actuel président.

C’était aussi une réponse à ceux qui l’ont persécuté par la manipulation des procédures judiciaires, ainsi que par son « jugement » anticipé rendu par les médias oligopolisés au Brésil, qui ont omis de restituer auprès du grand public les arguments de la défense des avocats de Lula, les raisons de sa défense pendant tous les moments de procédures judiciaires et policières, sans parler du soutien apporté aux comploteurs du coup d’état qui nous ont amenés dans l’abîme: l’augmentation du coût de la vie, la peur de l’incertitude et le retour de la misère absolue, le nouveau génocide de la misère et du chômage.

Lula a parlé de l’avenir, au-delà du fascisme qui laissera place un jour, aux Brésiliens et aux Latino-Américains, réconciliés avec le bon combat contre les ténèbres et la misère morale qui ont aveuglé - pendant une certaine période de l’histoire - une nation.

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